Alors que s’engage la discussion du projet de loi de transition énergétique, la France est confrontée à un défi essentiel pour respecter ses engagements environnementaux à l’égard de l’Europe : inciter les ménages, entreprises et collectivités à réduire leur consommation énergétique, avec un budget « vert » minimaliste. C’est pour résoudre cette équation délicate qu’un dispositif alternatif s’est progressivement imposé depuis 2006, aux côtés des classiques « prêt à taux zéro », « crédit d’impôt développement durable » et autres primes à la rénovation. Il s’agit d’un dispositif complexe, encore peu connu, mais très efficace, et surtout, totalement gratuit pour l’État : les « certificats d’économies d’énergie » (ou CEE, ou C2E, ou « certificats blancs »…). Un dispositif dont le ministère de l’Ecologie vient de confirmer la continuité par un arrêté publié le 16 septembre.
Le principe est inspiré du protocole de Kyoto : chaque fournisseur d’énergie se voit fixer par l’Etat un objectif d’économies d’énergie proportionnel à son activité nationale, à réaliser en trois ans sur le territoire français. A charge pour lui de réduire sa propre consommation d’énergie, mais surtout d’inciter les consommateurs à réaliser des travaux de rénovation énergétique sur leur patrimoine, et/ou à opter pour des équipements ou des pratiques moins énergivores : des machines agricoles au covoiturage en passant par l’isolation des bâtiments et l’éclairage public, les possibilités sont larges. Chaque économie d’énergie réalisée grâce à l’incitation d’un fournisseur (prime, cadeau, services, etc.) est valorisée par l’Etat sous forme d’un « certificat d’économies d’énergie », et lui permet de se rapprocher de son objectif.
Pour éviter toute dérobade, l’Etat a fixé une pénalité de 20 euros pour chaque mégawatt-heure non économisé dans l’objectif : un montant extrêmement dissuasif puisque les pénalités totales des plus grands énergéticiens se calculent en milliards d’euros ! Ainsi stimulés, certains fournisseurs d’énergie – dénommés « obligés » dans ce dispositif – ont développé des trésors d’ingéniosité pour transformer cette contrainte en opportunité marketing : Bleu Ciel, Dolce Vita ou encore toutes les « primes travaux » de la grande distribution (vendeurs de carburants) en sont quelques exemples. D’autres obligés préfèrent sous-traiter le projet à des prestataires spécialisés, qui se chargent de mettre en place pour eux des campagnes d’incitation aux travaux d’économies d’énergie, puis de faire valoriser ces travaux en CEE par le ministère de l’Ecologie.
En huit ans, le dispositif a fait ses preuves : 554 terawatt-heures de consommation énergétique économisée depuis 2006 (en valeur cumulée et actualisée sur toute la durée de vie des équipements installés, selon les chiffres de la Direction générale Energie et Climat arrêtés au 31 mai 2014), soit l’équivalent de la production française d’électricité en 2013!
Au 1er janvier 2015 démarrera une nouvelle période triennale, dont les modalités sont en discussion, afin de rendre le dispositif encore plus vertueux… donc plus exigeant. Faudra-t-il augmenter les obligations ? Ou bien durcir les conditions de délivrance de certificats, en les conditionnant par exemple aux qualifications professionnelles des artisans qui réalisent les travaux ? (A partir du 1er janvier 2015, les professionnels devront avoir acquis la qualification « Reconnu Garant de l’Environnement » (RGE ) pour que leurs travaux soient éligibles aux CEE). Ou encore mettre la pression sur d’autres secteurs que le bâtiment, qui concentre 90% des efforts à ce jour ? Agriculture, mobilité, urbanisme, industrie… les gisements ne manquent pas.
Le sujet est délicat, car politique : en effet, les décisions doivent s’accorder avec les orientations gouvernementales en matière de logement, d’emploi, de transports, de mix énergétique, etc.
Ségolène Royal, la ministre de l’Environnement, va devoir trancher. Elle devra aussi donner enfin à ce dispositif les moyens matériels de fonctionner correctement, lui qui souffre d’une incapacité structurelle à valoriser dans des délais raisonnables les économies générées par des obligés de plus en plus contraints. Souhaitons qu’elle permette aux CEE de respecter, voire de renforcer, leur philosophie fondatrice : un dispositif qui agit en profondeur sur l’ensemble des secteurs dits « énergivores », non pas ponctuellement mais par une évolution qualitative et durable des métiers et des technologies qui régissent ces secteurs.
Source : lemonde.fr